En 2010, les 3/4 des Français se sont opposés à la réforme Sarkozy des retraites. Ils ont défilé par millions et exprimé leur solidarité avec les grévistes. Après six grandes journées de grèves et de manifestations, afin d’amplifier le rapport de force, les organisations syndicales ont alors appelé à une grève reconductible dans quelques secteurs stratégiques (SNCF, raffineries, routiers et quelques autres secteurs). Mais les directions syndicales n’ont pas su ou pas voulu organiser un soutien financier aux grévistes. Alors qu’il était évident que, sans un soutien financier rapide, massif et national, les grévistes ne tiendraient pas très longtemps. Et que seule la grève reconductible dans les secteurs en mesure de bloquer l’économie, et soutenue par une solidarité financière des autres secteurs, peut contraindre un gouvernement anti-social à reculer.
En 2016, c’est la même erreur stratégique qui a empêché de faire reculer Hollande et Valls sur la loi travail. Si en décembre 2019 les organisations syndicales reproduisent la même erreur qu’en 2010 et en 2016, le résultat est couru d’avance. Explications.
Les profonds changements intervenus au niveau de l’organisation du travail et du management des entreprises font que des millions de salariés jugent improbable de pouvoir empêcher une régression sociale par la méthode classique de la grève dans un maximum de secteurs. Il suffit de regarder et de parler autour de soi, sans a priori idéologique (exercice difficile pour certains permanents syndicaux), pour arriver aux constats suivants :
- des millions de Français jugent que s’ils faisaient 2 jours de grève ça ferait ni chaud ni froid à leur employeur. Mais des millions sont prêts à mettre du poids dans la balance, pour peu que des directions syndicales proposent des modalités efficaces de soutien financier aux grévistes de quelques secteurs stratégiques
- il y a des millions de salariés qui se disent : « j’ai 2 enfants, 3 crédits … je voudrais bien faire grève, mais je ne peux pas me permettre de perdre 80 euros par jour. D’autant que les fois précédentes ça ne les a pas fait reculer d’un iota ». Cette réalité "de la fin du mois", Sarkozy, Hollande, Macron et le Medef la connaissent très bien. Ils ont constaté que des grèves longues dans de nombreux secteurs sont très rares, la dernière remontant à 1995 ! Lire "Retraites : la stratégie d’usure du gouvernement "
- les salariés du privé, dans leur immense majorité savent d’expérience que 5 à 10% de grévistes pendant 2 jours, ça gêne au mieux quelques PME. Dans toutes les grandes entreprises, après 2 jours de grève, les salariés sont contraints de rattraper le boulot en retard ! Ils ont fait le même boulot, se sont fait ponctionner 2 ou 3 jours de salaire et le patron se frotte les mains ! Ces situations sont très majoritaires chez les cadres et les administratifs. Il serait bien plus efficace qu’ils puissent verser une partie des 2 ou 3 jours de salaire qu’ils étaient prêts à sacrifier ... à une caisse de solidarité aux grévistes.
- de même dans beaucoup de secteurs de la Fonction Publique : si les salariés perdent des jours de salaires, l’Etat fait des économies
- es millions de retraités qui ne peuvent pas utiliser le levier de la grève seraient prêts à manifester leur solidarité financière avec les grévistes
- CGT, Solidaires, FO, CFE-CGC, FSU, ... n’attendez plus pour lancer partout un appel national unitaire expliquant les modalités de cette solidarité financière. Et/ou pour faire connaitre celles qui existent déjà.
Les conséquences de cette "réforme" seraient désastreuses pour toutes les catégories de salariés et toutes les générations. Laisser essentiellement les conducteurs de la SNCF et ceux de la RATP s’épuiser financièrement, c’est donner du crédit à la propagande gouvernementale du "Vous voyez, ce sont quelques milliers de grévistes qui prennent les Français en otage, dans le seul but de conserver leurs régimes spéciaux d’une autre époque". Pour déjouer cette stratégie du pourrissement de Macron/Philippe (elle a toujours réussi à leurs prédécesseurs), il faut ajouter d’autres modes d’actions (non violentes) pour organiser la résistance dans la durée. Au moins jusqu’à la promulgation de la loi. Rappelons-nous qu’en 2006 Chirac a été contraint de retirer la loi sur le Contrat première embauche après qu’elle ait été votée au Parlement !
Aux groupes de militants, en particulier dans la jeunesse, de faire preuve d’imagination et d’efficacité. Ces vidéos virales, et bien d’autres, en sont un bon exemple Retraites : l’arnaque à 72 milliards qu’aucun média n’a vue et Retraites Macron : l’arnaque de l’âge pivot
Seule une stratégie combinant plusieurs modes d’action efficaces et populaires (solidarité financière avec les grévistes, grèves et manifestations tous les vendredis, explications massives sur les réseaux sociaux, grandes pétitions) est à même de s’opposer efficacement aux régressions sociales à répétition. Et montrerait à nos dirigeants actuels et futurs que les organisations syndicales, les associations et les citoyens progressistes ont enfin trouvé la bonne méthode pour bloquer les réformes antisociales. Cela éviterait que les millions de citoyens qui se sont mobilisés et ont fait des sacrifices (pertes de salaire, etc ...) éprouvent une nouvelle fois un énorme sentiment d’échec. Or ce sont ces défaites à répétition qui dissuadent beaucoup de salariés de se mobiliser et même de se syndiquer. Il y va donc aussi de l’avenir des organisations syndicales.
Sur l’efficacité du soutien financier, lire « Pour collecter 90 millions d’euros au profit des salariés en grève, il suffirait que 25 % des Français qui les soutiennent versent en moyenne 10 euros »
andré martin - animateur du site http://www.retraites-enjeux-debats.org