75% des Français étaient opposés en 2010 à la réforme Sarkozy des retraites. Ils ont défilé par millions et exprimé leur solidarité avec les grévistes. Après six grandes journées de grèves et de manifestations, pour amplifier le rapport de force, les organisations syndicales ont alors appelé à une grève reconductible dans quelques secteurs stratégiques (SNCF, raffineries, routiers et quelques autres secteurs). Mais les directions syndicales n’ont pas su ou pas voulu organiser un soutien financier aux grévistes. Or il était évident que, sans un soutien financier rapide, massif et national, les grévistes ne tiendraient pas longtemps.
En 2016, c’est la même cécité qui a empêché de faire reculer Hollande et Valls sur la loi travail.
Aujourd’hui, tous les commentateurs s’interrogent sur l’ampleur et la durée des mouvements de grève annoncés, à partir du 5 décembre, pour s’opposer à la réforme Macron des retraites. Si en 2019 les organisations syndicales reproduisent la même erreur qu’en 2010 et en 2016, le résultat est connu d’avance. Explications.
Les profonds changements intervenus au niveau de l’organisation du travail et du management des entreprises font que des millions de salariés jugent improbable de pouvoir empêcher une régression sociale par la méthode classique et ancienne de la grève dans un maximum de secteurs. Il suffit de regarder et de parler autour de soi, sans a priori idéologique (exercice quasi impossible pour les militants très engagés), pour arriver aux constats suivants :
- des millions de Français n’osent pas faire grève, ou jugent que ça ne ferait ni chaud ni froid à leur employeur. Mais des millions sont prêts à peser très fort, si les directions syndicales sont capables de leur proposer des modalités efficaces de soutien financier aux grévistes de quelques secteurs stratégiques
- il y a ceux, très nombreux, qui expliquent : « j’ai 2 enfants, 3 crédits … je voudrais bien faire grève, mais je ne peux pas me permettre de perdre 80 euros par jour ». Cette réalité sociale, Sarkozy, Hollande, Macron et le Medef la connaissent bien et en déduisent à juste titre que des grèves massives et généralisées sont très improbables
- de nombreux salariés du privé préfèrent se limiter à des débrayages de quelques heures pour aller aux manifestations. Car ils savent que 5 à 10% de grévistes pendant 2 jours, dans une entreprise du privé, ça ne fait généralement ni chaud ni froid à l’employeur. D’autant que ces salariés sont contraints de rattraper ensuite leur boulot en retard ! Ces situations sont très majoritaires chez les cadres et les techniciens. Ils estiment qu’il serait bien plus efficace qu’ils puissent verser à une caisse de solidarité aux grévistes une partie des 1, 2 ou 3 jours de salaire qu’ils étaient prêts à sacrifier
- il en est exactement de même dans beaucoup de secteurs de la Fonction Publique : si les salariés perdent des jours de salaires, l’employeur n’en a rien à cirer. Mieux, il se frotte les mains puisqu’il fait des économies
- il en est de même pour les retraités qui ne peuvent pas utiliser le levier de la grève
Lors des batailles sociales qui concernent tous les salariés, la solidarité financière avec les grévistes des secteurs stratégiques doit donc être organisée immédiatement par les dirigeants des grandes organisations syndicales. Par un appel national unitaire expliquant l’organisation rigoureuse et transparente des collectes de soutien dans un maximum d’entreprises, de réunions et lieux publics.
Ces actions permettent aussi de mesurer et de montrer le niveau de sympathie et de soutien dont bénéficient les salariés en grève reconductible.
Cette stratégie adéquate permettrait de s’opposer efficacement aux régressions sociales à répétition. Et montrerait à nos dirigeants actuels et futurs que les organisations syndicales, les associations et les citoyens progressistes ont enfin trouvé la bonne méthode pour bloquer les réformes antisociales et s’opposer aux coups de force antidémocratiques. Enfin, cela éviterait que les millions de citoyens qui se sont mobilisés et ont fait des sacrifices (pertes de salaires pour les grévistes) éprouvent une nouvelle fois un énorme sentiment d’échec. Or ce sont ces défaites à répétition qui dissuadent beaucoup de salariés de se mobiliser et même de se syndiquer. Il y va donc aussi de l’avenir des organisations syndicales.
Sur l’efficacité du soutien financier aux grévistes, lire « Pour collecter 90 millions d’euros au profit des salariés en grève, il suffirait que 25 % des Français qui les soutiennent versent en moyenne 10 euros »