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Près de 3 millions de salariés corvéables à merci, à cause du contrat de travail en jours

mardi 11 janvier 2011, par André Martin

A l’automne 1999 la France est le 1er pays du monde à légaliser un contrat de travail en jours sans aucune référence horaire. Durant toute l’année 1999 des milliers de syndicalistes d’entreprise, de toutes les confédérations, avaient alerté le gouvernement Jospin/Aubry/DSK sur les dérives et abus qui en découleraient inéluctablement (1). Malgré ces mises en garde, la fameuse loi Aubry dite des 35 heures a légalisé le contrat de travail en jours. Avec la promesse des législateurs de l’époque que ce contrat de travail concernerait tout au plus quelques dizaines de milliers de cadres. La CGT et la CFE-CGC se sont battus pour tenter d’empêcher cette légalisation, mais la direction de la CFDT a soutenu activement cette légalisation.

Les multiples lois votées depuis 2002 pour « assouplir » les 35 heures, ont progressivement levé tous les garde fous destinés à éviter un recours abusif à ce type de contrat. Résultat : "La part des salariés à temps complet relevant d’un régime
de forfait annuel en jours est passée en moyenne de 5,0 % en 2001 à 9,8
% en 2007 et 12,0 % en 2011" peut-on lire dans l’étude de la DARES de juillet 2013 "La durée du travail des salariés à temps complet ... "téléchargeable sur http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2013-047.pdf

Le contrat de travail en jours (CTJ) permet de sous payer les salariés

Les heures travaillées n’étant plus comptabilisées, la plupart des salariés en CTJ travaillant plus de 50 heures par semaine ont donc un salaire horaire inférieur au SMIC.

Le CTJ aggrave le chômage et les déficits des comptes sociaux

Le CTJ ne comporte aucune référence horaire, ni sur la semaine, ni sur le mois, ni sur l’année. La seule limite à ne pas dépasser, en théorie, c’est 13 heures par jour, 6 jours par semaine, soit 78 heures hebdomadaires !

En permettant en toute légalité de faire travailler les salariés 50, 60 ou 78 heures par semaine, ce sont des centaines de milliers d’embauches qui sont ainsi « économisées » par les entreprises et donc autant de chômeurs en plus. D’autre part, avec le forfait jours, l’employeur ne payant pas le quart de la moitié des heures supplémentaires réellement effectuées, ce sont des milliards d’euros de cotisations sociales qui ne sont pas versées aux caisses Maladie et Vieillesse de la Sécurité sociale.

Le CTJ peut nuire gravement à la santé physique ou psychique

Dès le 11 décembre 2001, le Comité Européen des droits sociaux avait jugé « … Il en ressort que la durée maximale hebdomadaire de travail pour les cadres en forfait jours est de soixante-dix-huit heures. Pour le Comité, une telle durée est manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable au sens de l’article 2 par. 1 de la Charte sociale révisée ».

Par ailleurs, le CTJ tend à faire passer le salarié d’une obligation de moyens (un temps de travail à fournir) à une obligation de résultats (des objectifs à atteindre). Pour le salarié, il s’agit d’un bouleversement aux conséquences multiples. Avant l’existence du forfait jours, le salarié devait, pendant une durée de travail déterminée, faire aussi consciencieusement que possible son travail. Il appartenait aux dirigeants de l’entreprise et à la hiérarchie intermédiaire d’organiser les processus de travail, y compris la motivation des salariés, pour que l’entreprise atteigne ses objectifs. Après avoir économisé drastiquement sur les postes d’encadrement intermédiaire et sur les moyens de motiver les salariés, les grandes entreprises ont inventé un nouveau concept de management. Faire porter l’obligation de résultats non plus au niveau du collectif que constitue l’entreprise, mais sur chaque salarié individuellement. Or quand on fixe des objectifs de plus en plus élevés à des salariés qui n’ont aucune prise sur les processus dont dépend leur « productivité », ceci a de fortes chances de conduire à des impasses dont certains ne sortiront qu’en pétant les plombs.

Comment près de3 millions de salariés se retrouvent aujourd’hui piégés par leur contrat de travail en jours ?

Dès l’année 2000, les syndicalistes qui ont négocié les accords de RTT dans leur entreprise ont constaté d’emblée l’usage abusif que les employeurs entendaient faire du CTJ. Malgré cela, sous l’effet combiné des pressions de la hiérarchie et de la proposition alléchante de 12 à 15 jours de RTT, de très nombreux salariés cadres ont accepté le forfait en jours, par signature d’un avenant à leur contrat de travail. Même ceux, la majorité des cadres, qui n’encadrent que ... leurs PC et téléphone portables.

Leur charge de travail n’ayant pas été réduite, bien au contraire, la plupart de ces salariés n’ont eu que 2 choix possibles. Soit prendre leurs jours de RTT et augmenter l’amplitude de leurs journées de travail. Soit mettre une grande partie des jours de RTT sur leur compte épargne-temps. Cela n’a pas duré longtemps. Très vite les employeurs, aidés par les conseillers juridiques du MEDEF, ont trouvé la parade. Ils ont décidé d’une limitation stricte du nombre de jours de RTT stockables sur les comptes épargne-temps. A partir de ce moment, finie la réduction du temps de travail, bonjour l’arnaque, bonjour les conjoints qui rentrent quand les enfants sont déjà couchés.

Aujourd’hui, pour la quasi totalité des salariés au forfait en jours, le nombre d’heures de travail sur l’année est généralement très supérieur à ce qu’il était avant la loi Aubry dite des 35 heures ! Le CTJ, … une dérégulation de plus pour laquelle le Medef peut remercier un gouvernement de gauche. Les gouvernements Raffarin, Villepin et Fillon n’ont eu de cesse depuis 2002 d’allonger la liste des catégories de salariés éligibles au CTJ. Aujourd’hui, presque personne ne s’indigne de ce recours abusif au CTJ. Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin et aux 2 millions de salariés qui « en bénéficient » déjà ?

"A la suite de la plainte de la CGT, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe a déclaré contraire à la Charte sociale européenne révisée la législation française en matière de temps de travail sur deux points essentiels : les forfaits en jours et les astreintes." ... Lire la suite sur http://www.cgt.fr/La-France-contrevient-a-la-charte.html

(1) Voir l’ampleur des actions que nous avions menées à l’époque, sur http://membres.multimania.fr/art5rtt/

Comme souvent, le lobby des grandes entreprises a pesé plus lourd que l’avis et l’action de milliers de syndicalistes. La vérité oblige à rappeler qu’en 1999 la CFDT avait soutenu activement la légalisation du CTJ.

André Martin

ex délégué syndical CFDT et élu du personnel pendant 20 ans dans un grand groupe

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