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Quel système de retraites soutenable à l’ère du capitalocène ?

jeudi 12 décembre 2019, par André Martin

Le système économique, financier, productiviste et de plus en plus inégalitaire qui s’accélère depuis le milieu du 20ème siècle n’est plus soutenable. Il a fait entrer l’humanité dans l’ère de l’anthropocène, comme le montrent les scientifiques du GIEC et de l’IPBES. Les prévisions du rapport Meadows qui tirait la sonnette d’alarme en 1972 se sont toutes confirmées. Alors même que ces prévisions ne prenaient pas en considération les incidences du changement climatique !

Sauf à nous désintéresser de l’état du monde que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants, nous avons le devoir de nous informer. Des dizaines de conférences enregistrées le permettent, notamment celles de Jean-Marc Jancovici, de Gaël Giraud, d’Aurélien Barrau, de Pablo Servigne, de Jean Jouzel, de Cyril Dion...

Ceci nous impose, sans échappatoire possible, de changer intégralement et aussi vite que possible nos modes de consommation, de production, de transport, de voyages. Or, même en faisant ses courses chez Biocoop, en achetant son électricité chez Enercoop, ..., au final chaque famille dépense, donc consomme, d’une façon plus ou moins éco-responsable l’intégralité de ses revenus. Une réduction des inégalités de revenus (salaires, retraites, revenus du patrimoine) est donc indispensable.

Nos systèmes de protection sociale doivent aussi revenir à beaucoup plus de solidarité, après des décennies vers toujours plus d’individualisation. Or, la réforme Macron/Philippe conduirait à encore plus d’individualisation et moins de solidarité. Même si quelques touches très cosmétiques de solidarité sont mises en vitrine. Cette réforme aggraverait la crise écologique. Elle est en contradiction absolue avec les évidences écologiques.

Examinons la pertinence des principaux arguments du gouvernement

« Pour les retraites il faut aller vers un système universel »

Quasiment tous les Français sont d’accord sur ce principe. En effet, la complexité du système est telle, hormis pour la Fonction Publique d’Etat, que moins d’un Français sur 100 comprend comment sera calculée sa retraite et quel sera son montant (retraite de base, plus les différentes retraites complémentaires). Les changements de profession beaucoup plus fréquents justifient également que l’on fasse converger les 42 régimes actuels.

Mais, hormis pour certains régimes spéciaux, les conditions d’âge et d’annuités ont déjà été uniformisées. Le nombre d’annuités nécessaires pour avoir la retraite à taux plein a été uniformisé par la loi Fillon du 21 août 2003. Avec, pour les salariés du privé et du public, passage de 40 ans de cotisation en 2008 à 41 ans en 2012 et à 42 ans en 2020. La condition d’âge a été repoussée, pour tous, de 60 à 62 ans par la réforme Sarkozy de 2010.

Il est intéressant de regarder les professions et le nombre de salariés concernés par les régimes spéciaux ... dont beaucoup ne peuvent pas être pas qualifiées de privilégiés (les hospitaliers, les exploitants agricoles, ...). Certains régimes spéciaux concernent d’ailleurs un nombre de salariés inférieur à 2 000 !

De la même façon que les conditions d’âge et d’annuités ont été uniformisées, le calcul du montant des pensions pourrait l’être également. Par exemple, à « 75% du salaire annuel moyen des 10 ou ... meilleures années ». Ces 2 chiffres, comme le niveau des cotisations, pouvant être renégociés tous les 5 ans, afin de piloter l’équilibre du système. Ce serait plus simple et beaucoup plus solidaire que la retraite par points hyper inégalitaire que Macron/Philippe veulent nous imposer, poussés par les fonds de pension anglo-saxons.

Les bonifications d’annuités qui existent déjà pour certaines professions, ou liées à la maternité, pourraient être réexaminées en fonction de la pénibilité réelle (dont travail de nuit, de WE, etc ...) et de l’espérance de vie.

Les professions reconnues comme sous payées (enseignants, infirmières, agriculteurs, ...) pourraient, jusqu’à la fin de la période de rattrapage des salaires, bénéficier de bonifications de leurs annuités.

Il faut avoir conscience que le passage du système actuel à 42 régimes (chacun comportant une retraite de base ainsi qu’une ou plusieurs retraites complémentaires) vers un système universel à points est un processus extrêmement complexe. En Suède la période de transition s’est étalée sur une quinzaine d’années et avait été précédée d’une concertation nationale qui avait duré 13 ans ! En plus d’être hyper inégalitaire et complexe, le big bang Macron n’est pas sans risques. Il génèrera, pendant les 15 ans de transition, de l’angoisse, des contestations et mécontentements de tous ordres. Et des surcoûts imprévisibles, comme tous les grands chantiers pharaoniques (jupitériens) ou les grands projets inutiles.

« Le nouveau système par points sera plus favorable pour ceux qui auront eu des carrières hachées, notamment les femmes »

Même un élève de 3ème comprend facilement qu’une retraite calculée sur la totalité de la carrière sera toujours plus défavorable que celle calculée sur les 25 ou les 10 meilleures années. Explications sur La réforme des retraites pénalisera encore plus les femmes

Voir aussi Qu’est-ce qu’une retraite juste ? de Thomas Piketty. Et il n’y a en fait aucune raison de considérer que le niveau « juste » des retraites doive refléter l’ensemble de la carrière salariale. de l’économiste Guillaume Duval.

« Aucune pension de retraite ne baissera ... Personne ne sera perdant ... »

C’est impossible, comme l’explique l’économiste Elie Cohen, pourtant proche du gouvernement, dans « Retraites : un triangle d’incompatibilité ».

« La valeur du point ne pourra pas baisser »

Cette vidéo de François Fillon de 2016 confirme qu’il s’agit d’un mensonge.

Il est facile de faire baisser les pensions tout en conservant la valeur du point. Il suffit d’appliquer un bonus/malus, avec l’instauration de l’âge pivot à 64 ans. Ou, comme cela a été fait dans ARRCO/AGIRC, en appliquant un coefficient de minoration à la valeur de service du point. Ou un coefficient de majoration pour le prix d’acquisition des points.

La réforme des retraites du "modèle suédois", vanté par Macron/Philippe, présente un bilan très mitigé, avec des gagnants mais aussi beaucoup de perdants.

« La valeur du point sera indexée sur les salaires, ce qui est plus favorable que l’indexation actuelle sur les prix »

Quel économiste sérieux peut prédire que dans 30 ans l’indexation sur les salaires sera plus favorable que l’indexation sur les prix ?

« Le système de retraites sera déficitaire de milliards à l’horizon 2025 »

D’abord on omet de dire qu’il y a ici et là de grosses réserves : 32 milliards sur le Fonds de Réserve des Retraites créé par Lionel Jospin. Et 116 milliards dans AGIRC/ARRCO. Et beaucoup de milliards encore dans d’autres caisses de retraite.

On omet une autre chose très importante "Le rapport numérique entre les personnes en emploi et toutes les autres « économiquement dépendantes » serait constant en France jusque 2070 !"

Il s’agit d’un pseudo-déficit dont les causes sont multiples, notamment :

  • la baisse des ressources affectées au système
  • le droit de cumuler, sans aucune limite, une pension élevée et un emploi. En remettant des limites, du type de celles qui existaient jusqu’en 2009, on économiserait des milliards d’euros chaque année. La réforme aggraverait encore les inégalités, en permettant de continuer l’acquisition de points pendant le cumul. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que dans les années 1950-1990, les CDI et les carrières longues prévalaient. Aujourd’hui, après les décennies de précarisation et d’uberisation de l’emploi, il est plus que temps, pour la protection sociale, de mettre à contribution le capital, via la taxation des dividendes, des transactions financières et des robots. Sans oublier qu’un autre partage du temps de travail permettrait une baisse du chômage, donc des cotisations supplémentaires.

« Pour les cadres à hauts salaires, ils auront la liberté, pour la partie de leur salaire supérieure à 10 000 euros, de cotiser à des systèmes complémentaires par capitalisation, ... »

Au-delà de 120.000 € de salaire annuel, le taux de cotisation serait limité à 2,8% ... sans acquisition de points. Un tout petit geste de solidarité. Un énorme cadeau pour Blackrock et les grandes compagnies d’assurance. Voir « Retraites : l’arnaque à 72 milliards qu’aucun média n’a vue ».

Actuellement les cadres à haut salaire cotisent à l’AGIRC jusqu’à 26 400 € mensuels (8 fois le plafond de la Sécurité Sociale). Avec la réforme, ils contribueront énormément moins au financement collectif des retraites. Autant d’argent qu’ils placeront dans des fonds de retraites par capitalisation ... encouragés à cela par les incitations financières de la récente loi Pacte (une coïncidence qui interpelle). Et qui compensera ces cadeaux fiscaux : comme d’habitude avec Macron, les petits et moyens contribuables !). Voir Loi Pacte : quelle réforme de l’épargne retraite ?

Quel silence assourdissant de Laurent Berger et des dirigeants de la CFDT sur cet énorme scandale, !

Enfin, il faut savoir que l’argent ne se stocke pas. Et donc que les droits acquis en cotisant à des systèmes par capitalisation sont seulement des droits de tirage sur le PIB, donc la production dans 40 ans. Dans l’ère de l’anthropocène, ni les économistes ni les banquiers ne peuvent prédire le niveau du PIB dans 30 ans. A l’ère de l’anthropocène, les systèmes par capitalisation sont plus que jamais un mirage.

Et une petite dernière pour la route "La faillite de la retraite par capitalisation aux USA ? Il manque 560 milliards de dollars"

Quelques outils, parmi des dizaines d’autres, pour démêler le vrai du faux dans la communication gouvernementale

Conclusions

Le système par points tel que proposé dans la réforme serait la poursuite, pendant la retraite, des écarts de salaires insensés et incompatibles avec la sauvegarde de la planète. Il est de ce fait non amendable. Dans Plusieurs retraites universelles sont possibles, Thomas Piketty explique à quelles conditions un système par points permettrait la justice sociale et la réduction des inégalités. Il conclut par "Il faudrait au minimum que le taux de cotisation de 28% s’applique à tous les salaires, y compris les plus élevés, au lieu de chuter à 2,8% sur la tranche de salaires au-delà de 120 000 euros, comme le défend le rapport Delevoye. Ou imaginer un barème progressif des cotisations."

Alors, quelle réforme pour un système de retraite unique, plus simple, plus solidaire et donc plus soutenable ?

Il serait préférable de rester dans un système unifié basé, comme aujourd’hui, sur une condition d’âge et une condition d’annuités. D’autant qu’elles ont déjà été uniformisées, sauf pour certains régimes spéciaux. Pour ceux-ci, une convergence progressive est nécessaire, dans le cadre d’un réexamen des bonifications d’annuités qui existent déjà pour de nombreuses professions, ou liées à la maternité. Les bonifications devant être réexaminées pour tenir compte de la pénibilité (dont travail de nuit, de WE, etc ...), de l’espérance de vie, etc ...

Et d’aller progressivement vers un mode de calcul unifié du montant des pensions. Différents modes de calcul, plus solidaires, mériteraient d’être discutés. Par exemple, la pension pourrait être de « 75% du salaire moyen des 10 meilleures années » pour les salaires moyens jusqu’à 3 000 €. De « 70% du salaire moyen des 10 meilleures années » pour les salaires moyens entre 3 000 € et 6000 €, ... Jusqu’à un maximum de « 50% du salaire moyen des 10 meilleures années » pour les salaires moyens de 8 000 à 10 000 €. Avec bien sûr un lissage pour éviter les effets de seuil. Ces taux de remplacement sont assez voisins de ceux suggérés par Thomas Piketti.

Il faut expliquer partout les énormes dangers et incertitudes du big bang que signifierait la réforme Macron/Philippe et tout faire pour s’y opposer ... mais Si les directions syndicales n’appellent pas à la solidarité financière avec les grévistes, ça se terminera comme en 2010 et 2016

Voir aussi l’analyse extrêmement pertinente de Gaël Giraud « Il nous faut aujourd’hui un régime de retraite “post-croissance” » du 23/12/2019

andré martin - animateur du site http://www.retraites-enjeux-debats.org

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