Interview de Jean-Jacques Chavigné (vendredi 9 avril 2010)
Jean-Jacques Chavigné est co-auteur avec Gérard Filoche de « Une vraie retraite à 60 ans c’est possible » aux éditions Jean-Claude Gawsewitch
En 2001, tu as publié avec Gérard Filoche un libre « Retraites : réponse au Medef ». Pourquoi un nouveau livre sur ce même sujet en 2010 ?
La loi Fillon a été votée en 2003, la réforme des régimes spéciaux a été adoptée en 2008. Nous sommes donc dans une situation nouvelle. Une situation où les prévisions démographiques catastrophistes de l’Insee se sont avérées erronées. Une situation où la droite et le Medef n’osent plus (à la différence de la fin des années 1990) défendre ouvertement une place prépondérante pour les fonds de pension. Il est vrai que deux crises financières sont passées par là : celle des nouvelles technologies en 2000 et celles des « suprime » en 2008-2009. Une situation où malgré trois « réformes » successives (1993, 2003 et 2008) le déficit des régimes de retraites perdure faute de ressources suffisantes.
Le titre de ce nouvel ouvrage, c’est « la retraite à 60 ans, c’est possible » Mais comment est-ce possible alors que le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités se détériore ?
Il n’y a pas, contrairement à ce que tente de faire croire Sarkozy de « fatalité démographique ». Le nombre de retraités va très fortement augmenter d’ici à 2050 du fait de l’allongement de l’espérance de vie et de l’arrivée à l’âge de la retraite des personnes nées pendant le « baby-boom » de 1946-1976. Mais le deuxième facteur verra sa force diminuer rapidement à partir des années 2036-2040. Quant au premier facteur, il n’a rien à voir avec le trimestre d’espérance de vie gagné chaque année selon les dires du Medef. Les projections de l’INSEE estiment ce gain à deux fois moins.
Il y a d’autant moins de fatalité démographique, que la productivité du travail augmente de 1,8 % par an (chiffre du Conseil d’Orientation des Retraites) et que cette productivité aura donc doublé en 2050. Lorsque la droite affirme : « en 2010, il y a 1,8 cotisant pour un retraité, en 2050, il n’y aura plus que 1,2 cotisant pour un retraité » elle passe tout simplement sous silence que ce 1,2 cotisant produira deux fois plus qu’aujourd’hui et que la situation sera donc meilleure puisqu’il y aura, alors, l’équivalent de 2,4 cotisants (d’aujourd’hui) pour un retraité. Mais jamais vous n’entendrez le patronat ou Sarkozy vous parler de ce doublement de la productivité du travail.
L’âge l’égal de la retraite est-il vraiment important, ne faut-il pas plutôt s’attacher au nombre d’années de cotisation ?
Les deux mesures sont intiment liées. La retraite à 60 ans n’a de sans que si elle ne se réduit pas à un droit virtuel et qu’elle permet, effectivement, à l’immense majorité des salariés de pouvoir prendre leur retraite à 60 ans.
Aujourd’hui, ce droit est de plus en plus virtuel et il le sera encore plus en cas d’allongement de la durée de cotisation. Dans le secteur privé, en effet, 60 % des salariés ne sont plus au travail, mais en maladie, au chômage ou en invalidité, au moment de leur départ en retraite. Et, à l’autre bout des carrières, il est de plus en plus difficile d’accéder à un travail stable avant 25-30 ans. Allonger, dans ces conditions, la durée de cotisation, en prétendant ne pas diminuer le montant des retraites relève de la supercherie.
Crois-tu possible de mettre enfin un coup d’arrêt à la dégradation continue de la retraite depuis 1993 ?
La situation n’est pas la même qu’en 2003. Chirac avait été élu l’année précédente. Sarkozy a été élu il y a trois ans et, surtout la droite, s’est ramassée, aux élections régionales de 2010, la pire raclée de son existence sous la Ve République.
En 2003, François Fillon s’était attaqué au seul régime de retraite de la Fonction publique. Aujourd’hui, c’est à l’ensemble des salariés (privé, fonctions publiques, régimes spéciaux) qu’il s’attaque de front.
En 2003, Fillon avait l’appui inconditionnel de toute la droite. Ce n’est pas le cas pour Nicolas Sarkozy. Il aura l’appui de la droite s’il réussit. Mais dès qu’il commencera à flancher face au mouvement social, ce sera la curée à droite et la bourgeoisie s’en débarrassera comme elle l’avait fait pour de Gaulle en 1969.
En 2003, la direction de la CFDT a lâché le mouvement syndical unitaire. Elle a perdu 10 % de ses adhérents et 5 % des voix aux élections professionnelles dans les deux années qui ont suivi. Il serait étonnant qu’elle prenne, si telles étaient ses intentions, le même risque cette année.