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Retraites : le PS a-t-il mesuré combien les propositions de Terra Nova sont approximatives, socialement dangereuses et politiquement suicidaires ?, par Henri Sterdyniak

Les propositions d'Olivier Ferrand, président de Terra Nova, sont approximatives, ni à la hauteur du problème.

Publié le 17 mai 2010 à 16h41, modifié le 17 mai 2010 à 16h41 Temps de Lecture 6 min.

Olivier Ferrand, président de Terra Nova, fondation proche du Parti Socialiste selon les médias, propose une piste autoproclamée iconoclaste pour la réforme des retraites : "faire payer les retraites par les retraités" (Le Monde daté 9-10 mai). Par iconoclaste, il faut donc comprendre : "Je suis socialiste, mais j'ai le même programme que la droite libérale et le patronat." En effet, ses propositions sont approximatives, elles ne sont pas à la hauteur du problème ; enfin, elles s'inscrivent dans un programme de démantèlement de la Sécurité sociale socialement dangereux et politiquement suicidaire.

Selon Olivier Ferrand, on peut faire payer les retraités, car leur niveau de vie est nettement supérieur à celui des actifs. Pour les hommes, la retraite moyenne serait supérieure au salaire moyen. Mais il compare une retraite brute (avant CSG) à un revenu salarial moyen net (après CSG), qui mélange temps plein et temps partiel. En fait, en 2007, selon l'enquête "Revenus" de l'Insee, le revenu salarial net moyen des actifs de 20 à 60 ans est de 1 758 euros par mois ; la pension nette moyenne des plus de 60 ans est de 1 315 euros par mois. La pension moyenne représente donc 75 % du salaire moyen.

De même, le président de Terra Nova prétend que le niveau de vie des retraités représente 106 % de celui des actifs, et même de 140 % de celui des actifs de moins de 55 ans. En fait, selon l'enquête "Revenus" de 2007, le niveau de vie des retraités est équivalent à celui de la population totale (102 % en moyenne, 100 % en médiane), inférieur à celui des actifs, y compris chômeurs (96 % en moyenne, 92 % en médiane) et à celui des actifs occupés (93 % en moyenne, 90 % en médiane). Le niveau de vie des retraités est juste égal à celui des actifs de moins de 55 ans (en moyenne).

Certes, la prise en compte des loyers imputés augmenterait de 3 % le niveau relatif de revenu des retraités (qui sont plus souvent propriétaires de leur logement). Mais, en sens inverse, les chiffres moyens sont trompeurs.

En effet, le vieillissement de la population fait que les revenus financiers des grandes familles capitalistes se concentrent chez des personnes âgées et se retrouvent donc dans la moyenne des revenus des personnes de plus de 65 ans, ce qui est peu pertinent pour juger du niveau de vie des salariés retraités. Au total, le revenu (y compris loyers imputés) des retraités est de l'ordre de 95 % de celui des actifs (y compris chômeurs). Ce n'est scandaleux ni dans un sens ni dans l'autre.

Olivier Ferrand déclare, à juste titre, que le système de retraite doit se donner comme objectif la parité de niveau de vie entre les retraités et les actifs, sans voir que cette parité est aujourd'hui réalisée. Elle est au contraire menacée par les réformes en cours qui, selon le dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), feront passer le rapport pension moyenne/retraite moyenne de 72 % aujourd'hui à 57 % à terme. La question n'est pas de diminuer les retraites, mais de trouver des ressources pour maintenir le revenu relatif des retraités.

Que propose donc Terra Nova ? D'aligner la fiscalité des retraités sur celle des actifs. Les retraités bénéficient certes de quatre avantages fiscaux. Ceux de plus de 65 ans, à faible revenu, ont droit à un abattement supplémentaire (coût : 250 millions d'euros). Les majorations pour les retraités qui ont élevé trois enfants ou plus ne sont pas imposables (coût : 600 millions d'euros), mais les allocations familiales ne sont pas non plus imposables et ce sont ces personnes qui ont assuré notre équilibre démographique. L'abattement de 10 % pour frais professionnels bénéficie aux retraités, mais il est plafonné pour eux à 3 600 euros par foyer fiscal (coût : 2,2 milliards d'euros).

Enfin, la CRDS-CSG s'applique à un taux réduit aux retraités imposables (7,1 % contre 8 %), pour un coût de 1,4 milliard. Jadis, les retraités ne payaient pas de cotisations maladie ; la montée en puissance de la CSG a permis de faire baisser le niveau relatif des retraites. Reste 0,9 % à prendre. Mais un prélèvement supplémentaire de 1 % s'applique déjà sur les retraites complémentaires. Quant à l'exonération de CRDS-CSG pour les retraités les plus pauvres (et son taux intermédiaire à 4,3 %), elle coûte 6,6 milliards d'euros.

Il existerait donc une manne potentielle de 11 milliards d'euros, qui ne représente cependant qu'un tiers du déficit actuel des régimes de retraite. Ce n'est donc pas la panacée. Mais ce serait surtout inéquitable, puisque 6,6 de ces 11 milliards d'euros seraient prélevés sur les retraités les plus pauvres, alors que les actifs d'un revenu équivalent touchent eux le RSA (revenu de solidarité active) ou la PPE (prime pour l'emploi), qui équivalent à l'exonération de la CSG-CRDS.

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Olivier Ferrand, après avoir ainsi envisagé de réduire de 8 % le revenu des retraités les plus pauvres, propose d'augmenter les plus faibles retraites, afin qu'une carrière au smic aboutisse à une pension au smic. Il faudrait donc compenser, par la hausse du minimum contributif, l'extension de la CSG aux basses retraites. Le gain de l'alignement fiscal serait donc de 4,4 milliards d'euros. Est-il justifié de proclamer que l'on a des propositions décoiffantes, quand on propose de dégager 4,4 milliards d'euros de ressources (0,22 % du PIB) pour un déficit actuel de 30 milliards d'euros.

Alignons, mais alignons tout... Mettons aussi en cause les niches fiscales des salariés (heures supplémentaires, participation, intéressement) et celles des revenus financiers. Surtout, est-il légitime que les retraites ne bénéficient d'aucun gain de pouvoir d'achat ? Si, depuis 2002, les retraites avaient été augmentées de la moitié des gains des salariés (soit de 3,5 % en sept ans), elles seraient plus élevées de 11,8 milliards d'euros.

Terra Nova propose froidement une CRDS retraite de 1 % pendant dix ans, un taux majoré pour les retraités pour réduire la dette sociale. Mais l'Etat n'a ni le droit de surtaxer sans motif légitime une catégorie particulière de personnes ni celui d'attribuer la dette sociale aux retraités plutôt qu'aux malades et aux actifs (qui n'ont pas assez cotisé).

Il nous est enfin proposé un vaste programme : "S'attaquer aux quelque 400 milliards d'euros de dépenses sociales, en mettant en cause les prestations les plus élevées accordées aux plus aisés." Les cadres bénéficient d'une retraite de l'Agirc, financée par leurs cotisations. On pourrait la supprimer. Il faudrait renoncer aux cotisations correspondantes, rembourser (comment ?) les cotisations versées dans le passé. Les cadres se tourneraient vers leurs entreprises pour leur demander d'investir leurs cotisations dans des fonds de capitalisation. L'opération ne dégagerait pas 1 euro supplémentaire pour la protection sociale ; elle dériverait des fonds vers les marchés financiers.

En France, les salariés cotisent à l'assurance-maladie sur la totalité de leur salaire, alors que dans la plupart des pays les cotisations maladie sont plafonnées. Réduire fortement les remboursements des cadres qui cotisent le plus, c'est les inciter à se dégager de la Sécurité sociale et à demander le droit à cotiser, au premier euro, dans des mutuelles autonomes ou des assurances privées. De qui Terra Nova est-il proche ?

Les pauvres sont mieux protégés dans des systèmes hybrides qui mêlent contributivité et solidarité, que dans des systèmes à deux vitesses, assistance pour les pauvres, assurances privées pour les riches. Un système financé par les riches qui ne bénéficie qu'aux pauvres est socialement fragile : les classes moyennes, nombreuses, y sont indifférentes et les riches, influents, hostiles. Comme disent les Anglo-Saxons : "Un système réservé aux pauvres est un pauvre système."

Ce projet affaiblirait la cohésion sociale ; il serait politiquement suicidaire puisqu'il se heurterait aux syndicats et aux citoyens attachés à la protection sociale, comme aux cadres et aux classes moyennes. Terra Nova vise à infléchir à droite les positions du PS. Le Parti socialiste doit le dire clairement. Ce n'est pas son programme de démanteler la protection sociale, de faire payer les retraites aux retraités.


Texte intégral à lire sur gesd.free.fr

Henri Sterdyniak est économiste, directeur du département "économie de la mondialisation" de l'OFCE.

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