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Financement des retraites : un algorithme

mercredi 12 mai 2010, par Michel Husson

Une pension, c’est un virement sur le compte d’un retraité. Comment mieux souligner que la question des retraites porte directement sur la répartition des revenus ? Dans le cas de la santé, par exemple, se posent d’autres questions, comme celle de la légitimité des dépenses. Dans le cas des retraites il s’agit d’un transfert d’argent que le bénéficiaire est libre d’utiliser comme il veut. C’est pourquoi la question des retraites pose, en amont de toute considération, un problème de financement. Le véritable défi, c’est d’en parler sans citer trop de chiffres, et de détailler avec précision les questions successives qu’il faut se poser.

Le point de départ des « réformes » successives est que les dépenses des régimes (les pensions versées) augmentent plus vite que leurs ressources. Apparaît alors un déficit tendanciel qu’il faut distinguer du déficit provoqué par la crise. A long terme, c’est la croissance plus rapide du nombre de retraités, par rapport au nombre de cotisants, qui est source de déséquilibre. Ces deux effets peuvent se combiner : si les effets de la crise sont durables, il y aura moins d’emplois et donc encore moins de cotisants.

Un choix de société

Personne ne conteste que le nombre de retraités augmentera plus vite que celui des cotisants, même si on peut discuter l’ampleur du phénomène. Face à un déficit prévisible, le choix est alors arithmétique : soit on augmente les recettes des régimes de retraites, soit on baisse les pensions, ces deux solutions pouvant évidemment se combiner. C’est un choix de société fondamental. La société peut en effet tenir un premier raisonnement : puisque la proportion de retraités va augmenter dans la population, il faut prévoir des mesures permettant d’accompagner cette évolution, en augmentant aussi la part du revenu national qui leur revient. C’est d’ailleurs de cette manière que le système par répartition a fonctionné jusqu’aux premières « réformes » : on calculait les recettes nécessaires pour financer les retraites, et on en déduisait le taux de cotisation correspondant.

Si l’on choisit cette option, il faut alors se demander s’il est possible d’augmenter les recettes à due proportion, et quel est le moyen le plus raisonnable de le faire. Mais ce débat n’aura pas lieu, en tout cas dans les instances officielles, parce qu’il est d’emblée interdit. Le gouvernement campe sur la position du Medef qui consiste à refuser absolument tout « prélèvement » supplémentaire.

Dans ces conditions, le second terme de l’alternative consiste à attribuer aux retraités une part constante du revenu national, alors même que leur nombre augmente, bref à baisser les pensions. C’est arithmétique : il est impossible de dire à la fois qu’on n’augmentera pas les ressources et qu’on préservera le montant des pensions. Si c’était vrai, où serait d’ailleurs le problème de financement ? Il ne reste plus qu’à choisir la méthode pour baisser les pensions.

Le premier paramètre sur lequel on peut jouer est le taux de remplacement : il suffit de décréter que la pension ne représentera plus 75 % du dernier traitement, mais par exemple 70 ou 65 %. L’idéal serait un mécanisme d’ajustement automatique qui calculerait le taux de remplacement en fonction du nombre de retraités, compte tenu du budget disponible. C’est à peu de choses près ce qui se passe déjà dans les régimes à points (par exemple les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO en France). C’est aussi l’idée qu’il y a derrière les projets de « comptes notionnels » examinés dans l’avant-dernier rapport du COR (Conseil d’orientation des retraites). La répartition serait conservée formellement mais sa logique serait dénaturée puisqu’on passerait à des retraites « à cotisations définies » : on sait ce qu’on cotise, mais on ne sait pas ce qu’on touchera. Dans certains pays, cette incertitude est étendue aux retraités : non seulement le montant de la pension n’est pas garanti au moment de faire valoir ses droits à la retraite, mais il ne l’est pas non plus une fois que l’on est parti à la retraite.
Pour appliquer une telle solution, qui a au moins le mérite de la franchise, il faut un bon rapport de forces, et des syndicats pas trop rétifs. Ce n’est pas exactement le cas en France, et les projets du gouvernement vont chercher à jouer sur un second paramètre, à savoir l’âge de la retraite. C’est la solution hypocrite et cynique du « travailler plus longtemps ».

Vivre et travailler plus longtemps ?

C’est apparemment du bon sens. Le stock de retraités (à notre tour d’être cynique) est un problème de robinet : leur nombre augmente d’un côté, avec le départ à la retraite des baby boomers, et diminue moins vite, de l’autre côté, en raison de l’allongement de l’espérance de vie. Puisqu’on vit plus longtemps, il suffit de travailler plus longtemps, et le tour est joué : plus de cotisants, moins de retraités. Mais, petit détail, ce raisonnement suppose que l’offre de travail crée automatiquement les emplois correspondants. Autrement dit, il suffirait que le nombre de candidats à un emploi augmente pour que le nombre d’emplois augmente. Cela suppose qu’on soit au plein emploi, ce qui n’est pas exactement la situation actuelle. C’est pourquoi cette solution ne méritera d’être envisagée et discutée que le jour où nous serons revenus au plein emploi. Tant que cette condition n’est pas réalisée, on baigne dans l’hypocrisie et le déni.

L’âge moyen auquel les salariés font valoir leur droit à la retraite est de 61 ans et demi. Mais l’âge moyen de cessation d’activité est de 58 ans et demi. Les trois ans de différence représentent une « zone grise » où les ex-salariés attendent la retraite dans des statuts précaires : inactivité, longue maladie, invalidité, allocations diverses. Supposons que l’on repousse l’âge de la retraite de deux ans. Deux cas de figure sont possibles. Si les salariés peuvent effectivement occuper un emploi plus longtemps, ces deux bornes pourraient se déplacer : l’âge de cessation d’emploi passerait à 60 ans et demi, celui du départ à la retraite à 63 ans et demi et la « zone grise » resterait de trois ans. Mais si les seniors ne trouvent pas plus d’emplois qu’aujourd’hui, ils perdront leur emploi à 58 ans et demi et devront attendre cinq ans avant de faire valoir leurs droits à la retraite.

Quel est le cas de figure le plus vraisemblable ? Le bon sens, l’expérience passée et celle des pays voisins (1), ainsi que la pratique des entreprises, conduisent à conclure qu’on se trouve pour longtemps dans le second cas de figure : les seniors perdront leur emploi au même âge et devront attendre plus longtemps pour une retraite à taux plein. Dans ce cas, on « finance » les régimes en allongeant la période de précarité précédant la retraite, et c’est la pire des solutions, car elle frappe les catégories les plus défavorisées. Elle a déjà été adoptée par la réforme Fillon, qui programme un allongement de la durée de cotisation. D’ores et déjà, il faut le savoir, les « réformes » introduites en France depuis Balladur en 1993, ont conduit et conduiront à une dégradation de la situation des retraités. Le taux de remplacement (pour un homme ayant travaillé à temps plein et cotisé quarante ans au moment de son départ en retraite) reculerait de 16,5 points (de 79 % en 2006 à 63 % en 2046), soit une chute 16,5 points. Ce serait l’une des baisses les plus marquées en Europe (2).

Le gouvernement semble envisager une manœuvre plus « subtile » qui consisterait à reporter l’âge légal de la retraite à 61 ans en 2015, 62 ans en 2020 et 63 ans en 2030 (Le Monde du 4 mai 2010), en instituant une décote importante. Cela veut dire qu’un salarié disposant du nombre d’annuités suffisant à 60 ans devrait malgré tout attendre 1, 2 ou 3 ans avant d’accéder à une retraite à taux plein. Ce serait une mesure particulièrement injuste, puisqu’elle frapperait les carrières longues, qui sont souvent aussi les plus pénibles.

De toute manière, cette solution n’est pas à la hauteur des enjeux. Imaginons qu’on porte la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein à 43,5 ans en 2050 et qu’on augmente l’âge d’ouverture des droits de 60 à 63 ans et de l’âge du taux plein de 65 à 68 ans. C’est la variante la plus « dure » que le COR vient d’examiner, parmi d’autres (3). Or elle ne suffit pas : le déficit prévu serait couvert à 48 % en 2030 et 36 % en 2050. De plus, cet exercice manque de cohérence. On ne peut extrapoler les comportements et surtout les possibilités d’emploi à un horizon aussi éloigné et pour des variations aussi importantes. Rien n’est dit sur le nombre de retraités et de cotisants correspondant à ces variantes ni sur leur compatibilité avec la croissance et la productivité. Et si la zone grise des salariés sans emploi mais pas encore retraités augmente, où est l’évaluation du coût qu’ils représenteraient pour d’autres branches de la protection sociale ? Enfin les effets de cette mesure seraient étalés dans le temps alors que le déficit de crise est déjà là.

Le refus obstiné de toute nouvelle ressource conduit le gouvernement à faire les fonds de tiroir. Nicolas Sarkozy a évoqué un « effort financier supplémentaire des hauts revenus et des revenus du capital » mais il s’agira d’un prélèvement temporaire (sur les stock options qui ne sont pas comptées dans le bouclier fiscal ?) mis en avant pour faire passer des pilules amères. L’idée circule, grâce aux chiffres inventés par la Fondation Terra Nova, de faire payer les retraités (4) ce qui est à la fois injuste et confusionniste. Reste l’alignement des modalités du calcul des retraites des fonctionnaires sur le privé (25 meilleures années au lieu des six derniers mois). Elle conduirait à une perte significative mais impliquerait l’intégration des primes pour que l’argument « d’équité » fonctionne, ce qui réduirait à peu de chose les économies réalisées, sans parler de l’incapacité de l’administration à reconstituer l’historique des traitements.

Un débat pipé

La « réforme », telle qu’elle est conçue, n’a pas pour objet d’équilibrer les retraites à l’horizon 2050, ni même 2020. Elle ne sera qu’un nouvel épisode du processus de réforme permanente enclenché en 1993 qui en appellera d’autres si ce processus n’est pas stoppé. Dans l’immédiat, il s’agit, pour reprendre les termes d’Alain Minc, d’un « signe envoyé aux marchés financiers » et François Fillon n’a pas hésité à agiter les menaces qui pèseraient sur « notre monnaie commune ». Le projet n’est donc pas de traiter le déficit de 2050 mais de faire immédiatement payer aux régimes de retraite une partie de la facture de la crise.

Il faut donc distinguer deux choses : les modalités de la « sortie de crise » et de la résorption des déficits, et l’équilibrage à plus long terme. Mais, dans les deux cas, le préalable est de faire sauter le tabou des ressources. Si l’on veut préserver un système de retraites solidaire, il faut lui assurer un supplément de ressources proportionné à l’augmentation du nombre d’ayants droit. On peut alors construire des scénarios, plus ou moins radicaux, qui montrent qu’il est possible de dégager les ressources nécessaires (5). La question des retraites ne se réduit pas au financement mais, s’agissant de répartition, elle est en grande partie indépendante du débat sur la croissance et son contenu. Il faudrait aussi anticiper les bombes à retardement que représentent les carrières écourtées et heurtées des plus jeunes (6) et prendre en compte les inégalités et la pénibilité. Mais le dégagement de recettes supplémentaires est le préalable absolu à ces améliorations nécessaires, et c’est ce tabou qu’il faut faire sauter.

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(1) voir Odile Chagny, « Comment l’Allemagne appauvrit ses retraités », Mediapart, 23 avril 2010, http://gesd.free.fr/ocpauv.pdf
(2) voir Guillaume Duval, « La baisse des pensions est déjà programmée », Alternatives économiques, avril 2010, http://gesd.free.fr/dejaprog.pdf
(3) http://www.cor-retraites.fr/article370.html
(4) voir les propositions d’Olivier Ferrand dans Le Monde du 9 mai 2010, http://gesd.free.fr/onova.pdf et la réponse roborative d’Henri Sterdyniak, http://gesd.free.fr/sterra.pdf
(5) voir Michel Husson, « Comment financer les retraites : le débat interdit », février 2010, http://hussonet.free.fr/scenar10.pdf
(6) voir la remarquable étude d’ Agathe et Julia Cagé pour la Fondation Jean Jaurès : « Retraites : les vrais termes du débat », http://gesd.free.fr/fjj50.pdf

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